Exposé des motifs
Paris, 1
janvier 2004
Génocide des Tutsi au Rwanda :
les Français veulent la vérité sur le rôle de leur pays
Le 7 avril 2004 verra la
célébration du dixième anniversaire du génocide des Tutsi du Rwanda où
plus d'un million de civils de tous âges massacrés en 100 jours dans
des conditions d'une horreur inouïe, pour le simple fait d'être né
Tutsi, ou pour ne pas avoir voulu collaborer au plan d'extermination.
Plusieurs
rapports d'organisations internationales et de nombreux ouvrages ont
montré que parmi les complicités extérieures, celle de la France a été
de loin la plus active. En 1998, une première mobilisation citoyenne a
suscité la création, par l'Assemblée nationale, d'une "Mission
d'information parlementaire". Cette approche délibérément prudente
était déjà une déception : il était demandé une "Commission
d'enquête", dotée de moyens nettement plus importants, traduisant une
volonté d'aller à la vérité.
Il est
très vite apparu que l'initiateur et président de cette Mission,
l'ancien ministre de la Défense Paul Quilès, entendait en limiter les
résultats. Les témoins souhaitant énoncer des faits précis impliquant
une complicité des autorités politiques et militaires françaises ont
été écartés des auditions publiques. Certains acteurs de premier plan
de cette tragédie, notamment l'ex-capitaine Paul Barril ou les
responsables des officines françaises de ventes d'armes, qui n'ont
cessé d'alimenter l'armée génocidaire, n'ont pas été auditionnés. Des
témoins, visiblement de mauvaise foi n'ont pas été confrontés avec
d'autres acteurs du drame qui pouvaient contredire leurs déclarations,
ni amenés à témoigner de nouveau devant une mission mieux informée.
Pourtant,
une minorité de députés au sein de la Mission voulait la vérité. Cette
minorité a fait en sorte que le Rapport de la Mission contienne une
mine d'enseignements. La fin des Annexes est d'ailleurs à elle seule,
implicitement, un véritable réquisitoire. Mais le 15 décembre 1998,
court-circuitant les rapporteurs, le président Quilès assume devant les
télévisions la conclusion de la Mission : la France n'est
"nullement impliquée" dans le déchaînement de violence au Rwanda. Il
s'en tient à cette phrase-clef du Rapport : "La France n'a en
aucune manière incité, encouragé, aidé ou soutenu ceux qui ont
orchestré le génocide."
Tel
est pour le moment le dernier mot de la France. Rappelons que la
Belgique, les États-Unis et l'ONU ont demandé pardon au peuple
rwandais, contrairement à notre pays, pourtant le plus concerné.
évidemment, la France se refuse officiellement à la moindre réparation
envers les rescapés et les familles des victimes.
Nous
disposons de nombreux éléments donnant à penser que notre pays a
continué d'apporter, alors que l'exécution d'un génocide ne faisait
plus aucun doute, un soutien diplomatique, militaire, financier et de
propagande à l'appareil génocidaire (le gouvernement intérimaire,
l'armée, les milices, reconnus responsables du génocide par le Tribunal
Pénal International pour le Rwanda). Puisque notre Assemblée nationale
s'est autocensurée, il faut donc prendre le relais.
Nous,
citoyens français, n'acceptons pas cette forme de négationnisme, de
manque de contrôle et d'impunité dans notre appareil d'état. Puisque
les actes et décisions des autorités françaises sont mis en ?uvre en
notre nom, nous avons le droit, plus encore le devoir, de veiller à ce
qu'ils ne soient pas en contradiction avec les principes fondateurs de
la République.
C'est
pourquoi nos associations, et un certain nombre de personnalités et de
citoyens français, ont décidé de constituer une Commission
d'enquête citoyenne, qui examinera du 22 au 26 mars 2004 l'ensemble
des éléments à sa disposition faisant peser sur la France le soupçon
d'une complicité multiforme avec l'un des plus graves crimes du XXème
siècle.
Cette
Commission, composée de personnalités associatives et qualifiées,
disposera évidemment de beaucoup moins de moyens que le Parlement ou la
Justice à laquelle elle n'entend en aucune façon se substituer. Mais la
modicité des moyens a pour contrepartie l'indépendance, elle est
compensée par une volonté inébranlable, qui chez nos députés semble
avoir abdiqué devant la "raison d'état". La Commission s'engage à
examiner avec le maximum d'honnêteté et d'objectivité les documents qui
seront portés à sa connaissance, à entendre et interroger
impartialement les témoins qui accepteront de venir s'exprimer devant
elle. Ses travaux seront intégralement enregistrés et publiés.
Elle
espère ainsi faire sauter le verrou historique, médiatique, juridique
et judiciaire sur la question de la complicité présumée de notre pays.
Les conséquences de ce déblocage sont assez évidentes, à la mesure de
l'énergie incroyable mise dans le verrouillage. Au-delà de
l'indispensable réparation, il s'agit pour nous de comprendre les
mécanismes qui ont permis cette complicité, de manière à empêcher des
récidives.
Si
le négationnisme pourrit l'Histoire et l'Humain, l'indifférence en fait
le lit. Et si à l'indifférence s'ajoute l'indifférence, alors jusqu'où
ira l'indifférence ?
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