Courriel envoyé le 3 décembre 2009 à Mr Rwamucyo.

Monsieur Rwamucyo,

Vous m'avez demandé de transmettre votre courriel au Docteur Annie Faure.

Comme vous avez pu le constater sur notre site, en accord avec le Docteur Annie Faure, nous avons publié votre courriel sur cette page : http://cec.rwanda.free.fr/informations/rwamucyo.html

Pour nous l'honnêteté intellectuelle - dont vous nous jugez dépourvus – nous conduit à respecter la parole des témoins et des enquêteurs. Personnellement, je ne suis témoin de rien d'autre - en ce qui vous concerne - que de ce qui est dit à votre sujet par des personnes et des organismes qui me semblent sérieux.

Quelles que soient les charges, même très graves, qui pèsent contre vous, nous savons que, en droit français, vous seriez présumé innocent tant que la justice n'aurait pas rendu son verdict. C'est en effet à la justice de déterminer si tel témoignage est recevable ou si tel document est authentique.

Or ce travail concernant les accusations dont vous êtes l’objet a été fait par la justice rwandaise et vous n'avez pas jugé nécessaire d'aller vous défendre devant les juges. Pourtant de nombreux rwandais - y compris des ministres et des élus rwandais de l’actuelle République du Rwanda - ont du faire cette démarche et être condamnés. Certains ont été acquittés qu’ils soient ministres ou simples citoyens. La justice rwandaise vous a déclaré coupable et vous avez été condamné à perpétuité - la peine maximale, la peine de mort étant abolie au Rwanda. Par conséquent vous ne pouvez donc plus vous prévaloir du principe de la présomption d’innocence et la justice française, qui n'est pas au-dessus de la justice rwandaise et des lois internationales, finira par exécuter tôt ou tard la requête d'Interpol.

Ce génocide magistral n'a pas été accompli par "personne". Bon nombre d'accusés ont été condamnés, par la justice rwandaise, par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, par les tribunaux des pays qui ont eu à en juger. La plupart a choisi de "plaider non-coupable" : ce déni montre combien il est difficile d'assumer la responsabilité de ce crime odieux. Les condamnés se sentent dépassés par leur crime honteux, que seul des irresponsables peuvent commettre. Il en est de même des Français qui en sont présumés complices et qui ont bénéficié jusqu'ici de la « solidarité – lâcheté » des responsables des instances concernées.

Le seul recours qui vous reste, et dont vous usez, est de vous prétendre victime d'erreur et de manipulation judiciaire. C'est classique, mais ce serait convaincant si vos arguments de défense ne se réduisaient pas à une guerre de réputation contre les autorités rwandaises. Or cette guerre de communication a été initiée par les membres du gouvernement génocidaire rwandais, exfiltrés par l’opération Turquoise, dont la plupart ont été depuis rattrapés puis condamnés pour génocide par le TPIR. En outre elle est répercutée en France par vous-même et vos amis et par des journalistes connus pour leur partialité et leurs soutiens aux français présumés complices dans le génocide des Tutsi. Un ancien juge français allait dans votre sens, mais ses travaux en cours au moment de sa démission, que nous avons vivement contestés, sont de fait remis en cause à travers les décisions de ses successeurs, notamment sur le dossier rwandais.

Je n'ignore pas que des critiques sont émises contre le fonctionnement de la justice spécialisée dans le jugement du génocide, TPIR et Gacaca, et notamment que dans les Gacaca l'accusation et la défense ne sont pas assistées par des avocats. Cela heurte les esprits formés à la culture occidentale, s’épanouissant elle-même dans un environnement financier disproportionné qu’on érige en référence implicite, mais inaccessible au Rwanda face à près d’un million d’accusés à juger.

Il me semble que ces critiques ne tiennent pas compte du fait que cette justice s'exerce au sein même de la population, que chacun peut y assister et que chacun est invité à y prendre la parole. Quand on connait les conditions populaires dans lesquelles s'est déroulé ce génocide, il apparait clairement que, comme pendant le génocide, les rescapés sont dans la plupart des cas dans une situation sociologique défavorable au sein de ces Gacaca et les présumés génocidaires au contraire en situation favorable, surtout quand, comme vous, ils ont assez d'aisance personnelle pour s'exprimer. 

Il y a diverses manières selon les circonstances, de la décrédibilisation à la mort, de faire taire les témoins. « Aucun témoin ne doit survivre ».

Si vous croyez à votre innocence, il ne vous reste qu’une solution, si elle est possible, demander la révision de ce procès au Rwanda en votre présence et y apporter vos preuves. Dreyfus était seul contre tous. Vous êtes nombreux - autour d’un million d’accusés. 

Vous me permettrez maintenant quelques observations plus personnelles que je vous adresse parce que quoique condamné, vous restez une personne. Au Rwanda les encartés Tutsi étaient une minorité contre tous. Mon épouse a été mise en prison en octobre 1990 sans autre motif qu’elle était encartée Tutsi et sans aucune preuve de sa culpabilité. Cela lui a sauvé la vie car elle a compris ensuite qu’il fallait qu’elle quitte le Rwanda avant le pire : son fiancé y a été assassiné dans les mêmes conditions, sans procès, par le régime que vous avez servi. Ensuite ce fut le tour de sa famille dès le 7 avril 1994. Sa mère âgée de 75 ans, son neveu âgé de 13 ans, puis d'autres pendant ces trois mois d’enfer où vous avez au minimum continué de servir activement ce régime génocidaire sans le combattre ou simplement le fuir et le dénoncer - sans parler des autres accusations que vous contestez. Où est l’injustice ?

Aujourd’hui, quoiqu’on en dise, les rescapés sont une minorité encore plus faible, en nombre bien évidemment, et en influence car sous le poids de souffrances plus ou moins handicapantes. Pourtant en France ils n’étaient pas soutenus par nos autorités, contrairement à vous et vos amis, jusqu’en 2007. Elles les traitaient avec défiance.

Veuillez agréer, monsieur, mes salutations distinguées.

Emmanuel Cattier
webmaster de la Commission d'enquête citoyenne