France-Rwanda/ Génocide

 

«La France a utilisé la même tactique qu’Habyarimana »-un coopérant belge

 

Kigali, 30 avril (ARI) – Pierre Jamagne qui a travaillé entre 1991 et 1994 dans la coopération belge au Rwanda affirme que le soutien déclaré du Président français Mitterrand aux Accords de Paix d’Arusha était en nette contradiction avec la politique de la France au Rwanda, a établi l’Agence Rwandaise d’Information (ARI).

 

«La France faisait ce que Habyarimana disait en Kinyarwanda.  Habyarimana parlait de réconciliation en Français et incitait à la haine ethnique en Kinyarwanda. De même, la France soutenait les Accords d’Arusha dans la parole mais continuait à livrer les armes aux FAR et à former les milices extrémistes», a-t-il déclaré devant la Commission rwandaise qui enquête à charge sur le rôle de la France dans le génocide.

 

Pierre Jamagne travaillait sur un projet de carte pédologique du Rwanda. Il a été à  Ruhengeri, à Byumba et à Bugesera. Il affirme avoir vu en mai 1992 des militaires français à Byumba en tenue de combat, fusils d’assaut, visages noircis. «Plusieurs fois, j’ai vu des camions français se diriger vers la ligne de front dans le nord du pays », dit-il. Pierre Jamagne a parlé des témoignages qu’il a recueillis auprès des autres coopérants. Notamment celui de son collègue de la coopération belge travaillant dans le nord qui a affirmé «l’existence d’une position française à proximité des marais de Rugezi en 1993», et «avoir vu les Français derrière les canons». 

 

Après l’attaque de Rulindo qui avait mis la ville de Kigali à la portée du FPR,  Pierre Jamagne est tombé sur une position française au Mont Jali au cours d’une recherche pédologique. « C’était une position plutôt défensive. Les soldats français ont mis en place un périmètre de sécurité après l’attaque du FPR sur Rulindo », a-t-il précisé. Pierre Jamagne a évoqué le témoignage d’un ami rwandais dont il n’a pas décliné l’identité selon lequel les soldats français insultaient les FAR parce qu’ils battaient en retraite.   

   

Pierre Jamagne affirme également que les soldats français n’ont pas quitté le Rwanda comme prévus par les Accords d’Arusha. Il a parlé d’une présence dissimulée des soldats français alors que leurs contingents étaient supposés avoir quitté le Rwanda en décembre 1993. «J’ai rencontré un militaire français à Rebero. Coupe de cheveux à la légionnaire ou à la marine. Cette présence m’a étonné car la France s’était engagé à retirer tous  ses soldats du Rwanda après les Accords d’Arusha», a-t-il poursuivi.

 

Pierre Jamagne a ajouté qu’un ami français dont il n’a pas voulu décliner l’identité lui a dit que des instructeurs français à l’Etat major des FAR utilisaient le mot « Khmers noirs » pour désigner le FPR. Il a parlé aussi des trous de fusilleurs creusés à Kigali par les miliciens et les forces loyalistes. Le chef de section de son projet, Alain Gallez, lui a dit que les miliciens et les FAR les faisaient à la demande des Français.

 

Le responsable de la sécurité à l’Ambassade de France à Kigali, Tony Murzi, avec qui Pierre Jamagne avait des contacts privilégiés s’était dit étonné de constater que l’Ambassade de Belgique ne prenait pas de mesures sérieuses de sécurité alors que celle de la France était au courant de ce qui se passe. «L’Ambassade de France suivait tout ce qui se passe dans les quartiers, elle avait un réseau d’information efficace », a-t-il déclaré.

 

Pierre Jamagne a quitté le Rwanda dans la deuxième quinzaine du mois d’avril pour le Burundi en passant par la frontière rwando-congolaise de la Ruzizi. Le 26 avril, il était déjà à Bruxelles mais il continuait à téléphoner au Burundi quelqu’un qui était chargé de vendre son véhicule. Fin avril - début mai,  Pierre Jamagne a  appelé au Burundi mais il a intercepté une conversation entre deux personnes qui s’exprimaient avec un accent français. «Le Rwanda a un gouvernement légitime », disaient-elles. «C’est-à-dire le gouvernement intérimaire qui était entrain de commettre le génocide. L’accent était français. C’était des Français. Ce n’était pas des Belges», a-t-il dit.

 

En avril 1994, l’Ambassadeur de Belgique à Kigali, Johan Swinnen, a dit qu’il va «organiser une conférence de presse parce qu’un grand pays n’a pas joué son rôle dans les Accords d’Arusha». Cette conférence de presse n’avait pas eu lieu et l’Ambassadeur Johan Swinnen  qui est aujourd’hui en poste à Kinshasa n’a pas jusqu’à ce jour révélé le nom du pays auquel il faisait allusion.

 

Le Colonel Luc Marchal de la MINUAR a affirmé devant la commission d’enquête du Sénat belge que la France a continué à livrer les armes aux FAR au-delà du 6 avril. Bernard Debré, à l’époque Ministre français délégué à la Coopération, l’a également reconnu. Ça montre que la France n’a pas respecté l’embargo, qu’elle a violé les accords d’Arusha. Ça rejoint les affirmations de l’Ambassadeur Johan Swinnen quand il dit qu’un grand pays n’a pas joué son rôle dans les Accords d’Arusha», dit-il.

 

Le chef de section de son projet, Alain Gallez, a affirmé à Pierre Jamagne que les Français livraient les armes aux FAR à l’aéroport de Kanombe lorsqu’ils évacuaient le Rwanda. Ce qui est aussi attesté par  le Colonel Luc Marchal qui était responsable des casques bleus belges de la MINUAR.

 

«Luc Marchal dit que cette livraison d’armes n’a pas de rapport avec le génocide. Moi, je ne suis pas de cet avis. Quand vous livrez les armes aux FAR qui collaborent étroitement avec les milices extrémistes, ça renforce le dispositif du génocide », affirme-t-il.

 

Pierre Jamagne a également évoqué certaines confidences obtenues auprès du Major Edouard Gasarabwe des FAR avec lequel il avait de bons contacts. «Il me demandait pourquoi la Belgique a suspendu la livraison d’armes au Rwanda alors que la France continue de le faire», a confié Pierre Jamagne qui a terminé sa déposition en accusant la France de «complicité de génocide». (Fin).   

 

ARI-RNA/ Gen./ D.M/ 30.04.07/17: 30 GMT

 

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