Les Tutsi réfugiés à Bisesero
livrés aux mains des tueurs par les soldats français
Kigali, 15 déc.
(ARI) – Trois ressortissants de l’ex-Préfecture de Kibuye qui ont requis
l’anonymat ont indiqué à la Commission rwandaise que les soldats français ont
livré aux mains des tueurs les Tutsi qui s’étaient retranchés dans les collines
de Bisesero pour résister au génocide, a établi l’Agence Rwandaise d’Information
(ARI).
Un rescapé de Bisesero -27ème témoin à être entendu- a fait savoir
que les soldats français de l’Opération Turquoise sont arrivés à Bisesero
(ex-Préfecture de Kibuye) le 27 avril 1994. Ce rescapé s’est avancé vers les
jeeps des soldats français pour crier au secours. D’autres l’ont rejoint dans
l’idée qu’ils allaient être protégés contre les attaques des miliciens
interahamwe.
Les soldats français qui étaient lourdement armés ont
manifesté peu d’intérêt à leur égard et ont promis aux rescapés de revenir dans
trois jours. Durant ces trois jours, presque tous les rescapés de Bisesero ont
été exterminés par les miliciens interahamwe.
«Les interahamwe venaient
de réaliser qu’il y a encore beaucoup de Tutsi dans les collines de Bisesero
parce qu’ils nous ont vu sortir de nos cachettes dans l’espoir d’être protégés
par les soldats français. Après le départ des soldats français, les attaques des
interahamwe appuyés par les militaires se sont intensifiées jour et nuit. Et
quand les soldats français sont retournés à Bisesero, il n’y avait presque plus
de survivants », a-t-il fait savoir.
«Les soldats français n’avaient
aucune intention de nous secourir. Ils ne voulaient même pas nous parler. Ils
l’ont fait à cause de la pression d’un journaliste qui était avec eux.
Visiblement, ils étaient venus pour autre chose. L’un d’entre eux a même dit que
Bisesero est un sanctuaire du FPR (Front Patriotique Rwandais, ndlr)», a
poursuivi ce
rescapé.
Rentrés à Bisesero après trois
jours, les soldats français se sont contentés de partager leur ration de combat
avec les survivants qu’ils venaient de regrouper à un même endroit. Quand les
rescapés de Bisesero ont émis le souhait de quitter la Zone Turquoise pour celle
occupée par le FPR, victorieuse des forces génocidaires, les soldats français
ont décidé de leur couper les vivres. A cause de la faim, certains rescapés ont
dû se rendre dans les champs des environs à la recherche de la nourriture.
Chemin faisant, ils tombaient dans les mains des interahamwe qui les
achevaient.
Le témoin N° 28 entendu par la Commission habitait à
Gishyita, tout près de l’une des trois bases militaires de l’Opération Turquoise
à Kibuye. Il dit que les soldats français sont arrivés à Kibuye entre le 21 et
le 22 avril 1994. Le témoin N° 28 a des relations de parenté avec Sikubwabwo
Charles- génocidaire de renom - qui était
bourgmestre de
Gishyita.
Le témoin dit que les soldats français
ont mis trois jours pour arriver à Bisesero alors que lui parcourt cette
distance en quinze minutes à vélo ou en une heure de temps à pieds (quand il
descend de Bisesero vers Gishyta). En cours de route, les soldats français
faisaient des missions de reconnaissance.
Après avoir rencontré les Tutsis réfugiés
à Bisesero, les soldats français sont retournés
immédiatement à Gishyita.
Du coup, les autorités administratives ont demandé à la population
convoquée d’urgence d’intensifier des attaques contre les Tutsis réfugiés à
Bisesero.
Ce rassemblement populaire qui a regroupé plus de 4.000
personnes dans le seul secteur de Gishyita eut lieu à côté de la base militaire
de l’Opération Turquoise. Les ex-FAR, les interahamwe et d’autres villageois ont
alors intensifié des opérations contre les Tutsi à Bisesero avec la complaisance
des soldats français.
Le témoin N° 28 a indiqué que les hélicoptères
français organisaient des missions de reconnaissance au-dessus des montagnes de
Bisesero au moins une fois par jour pendant que les génocidaires exécutaient
leur sale besogne.
A en croire le témoin N° 29, les soldats français
savaient bel et bien que les interahamwe opéraient en toute quiétude
contre les Tutsi à Bisesero depuis le début du génocide. Le témoin N° 29
enseignait à l’Ecole Normale Technique de Kibuye et a eu des relations
privilégiées avec deux Colonels français, Diego et Sartre.
Quand les
soldats français sont arrivés à Kibuye, le Colonel Diego, qui était leur chef, a
demandé au témoin N°
29 la route qui mène à Bisesero sur la carte du
Rwanda qu’il avait. Ce qui fut fait. Le témoin N° 29 lui a également parlé
des Tutsi tués jour et nuit par les miliciens interahamwe à Bisesero. Le Colonel
Diego s’est contenté de lui demander de lui décrire les miliciens
interahamwe.
L’année passée, le Capitaine Thierry de l’Opération
Turquoise est allé à la rencontre du rescapé de Bisesero cité plus haut,
soit douze ans après le génocide. «Quand il m’a dit que c’est un ancien de
l’Opération Turquoise, je n’ai pas voulu lui parler parce qu’il connaît mieux
que moi ce qui s’est passé à Bisesero », a dit ce rescapé.
«Il m’a dit
qu’il regrette leurs agissements à Bisesero, que les soldats français nous ont
trahi sciemment, qu’ils s’étaient laissés duper par leur gouvernement. Il a
alors décidé d’écrire un livre sur l’expérience qu’il a vécue
à
Bisesero en 1994», a encore ajouté ce rescapé.
Pour
rappel, c’est plus de cinquante mille Tutsis qui ont été tués à Bisesero après
avoir mené une lutte désespérée contre les tueurs durant le génocide anti-Tutsi
d’avril à juillet 1994 au cours duquel plus d’un million de personnes ont péri.
(Fin).
ARI-RNA/ Gén./ D.M/ 15. 12. 06/ 15 : 30
GMT
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