IIIème phase
des auditions de la Commission sur l’implication de la France dans le génocide
Audition des témoins numéros 8 et 9 :
Luc Pillionel et Colette Braeckman
Kigali, 14
Juin (ARI) : - La Commission Mucyo
sur l’implication de la France dans le génocide des Tutsi de 1994 au Rwanda a auditionné ce jeudi deux
nouveaux témoins étrangers, le suisse Luc de Pillionel et la journaliste belge
Colette Braeckman.
Témoin n° 8 : Luc Pillionel
Identification du témoin : juriste de formation, est arrivé
au Rwanda et dans la région en juillet 1994 pour tenter d’évacuer des membres
de sa belle famille qui se trouvaient au camp de Nyarushishi dans l’ancienne
préfecture de Cyangugu. Dans ce cadre, il a pu cotoyer des soldats Français de
l’opération turquoise.
Eléments essentiels de son témoignage:
·
L’Opération Turquoise était une opération militaire ; elle n’avait
rien d’humanitaire. Le témoin est passé dans les bases militaires de cette
opération à Kavumu (en République Démocratique du Congo- RDC) et à Kamembe
(Rwanda) lors de sa tentative de récupérer les membres de sa belle famille. A
Kavumu, son principal interlocuteur était le colonel Hogard et à Kamembe, le
capitaine Guillaume Anselle. Partout il a vu de militaires équipés d’armes
sophistiquées que le témoin décrit avec précision ; des hélicoptères Puma
et des Transal ( pour Kavumu). Nulle part des mouvements de camions pour
apporter l’aide à des populations civiles en détresse, pas de vivres, pas
d’ambulances, rien qui puisse faire penser à une opération humanitaire.
·
La situation des déplacés de Nyarushishi était désespérée. Leur
situation était déjà terrible avant l’arrivée des Français, sous la gestion du
CICR. Avec l’opération Turquoise, aucune amélioration de leur situation. Ils
continuaient à mourir de faim, de soif, de maladies, et leur insécurité s’est
accrue. Les hommes disparaissaient tous les jours, et les femmes se faisaient
violer d’après les témoignages que le témoin a recueillis auprès de sa belle
famille. Les soldats Français n’ont pas permis au témoin d’accéder au camp de
Nyarushishi. C’était un témoin gênant à la fois pour leurs opérations
militaires que pour administration chaotique et cynique du camp des déplacés
Tutsi de Nyarushishi.
·
Au sein du camp où se trouvait le détachement de Turquoise à Kamembe, le
témoin a vu mardi le 19 juillet une demi douzaine de corps frais gisant au sol
dans des flaques de sang non encore sechés. Les corps étaient emmaigris, en
habits sales, signe que les victimes étaient des personnes recherchées durant
le génocide. Les soldats Français de l’opération turquoise n’ont eu aucune
réaction.
·
A l’évêché de Cyangugu où il avait logé cette nuit, le témoin a entendu
le cri horrible d’une femme qu’on violait avant de la tuer. Les trois légionaires Français qui étaient de
faction et leurs cinq à sept collègues venus en renfort pour la nuit n’ont pas
eu la moindre réaction, alors que la scène se déroulait à moins de cent mètres.
·
Un légionaire français de l’opération turquoise , l’un de ceux qui
étaient de faction à l’évêché de Cyangugu le 19 juillet 1994 a affirmé en
présence du témoin que c’était des « Khmers noirs », donc
soldats du FPR, qui commettaient le génocide, et que la France était là pour
mettre un terme à cette situation.
Témoin n° 9 : Colette Braeckman
Identification du témoin : Journaliste au quotidien belge Le
Soir. Elle couvre l’Afrique, spécialement la région des Grands Lacs. Elle a
commencé à faire des reportages sur le Rwanda depuis les années 1980.
Eléments essentiels de son témoignage:
- En
1992, le témoin a vu à Ruhengeri des soldats Français, visages peints en
noir, effectuer des entraînements militaires avec les FAR.
- Au
cours de ses nombreux voyages au Rwanda, le témoin a reçu de nombreux
témoignages sur des soldats Français qui contrôlaient les identités des
Rwandais ;
- La
France a créé le Hutu Power, soutenu la CDR et divisé les partis
d’opposition. Les visites de Justin Mugenzi à l’ambassade de France à
Kigali, et son accueil à Paris en juin 1992 ont été déterminants dans son
retournement ;
- En
1993, dans un entretien avec le témoin, un attaché militaire à l’ambassade
de France a déclaré au témoin que « les paras Belges de la MINUAR
seraient placés entre deux forces belligérantes et que ç a risquait d’être
inconfortable pour eux ;
- Beaucoup
d’informations parvenues au témoin en mars 1994 au Rwanda faisaient état
de militaires français restés ou revenus au pays après leur départ
officiel du Rwanda en décembre 1993.
- La
haine contre les Belges et l’assassinat des paras belges ont été provoqués
par les Français. Après la chute de l’avion de Habyarimana, des personnes
ont appelé à l’ambassade de France à Kigali et se sont fait dire que
‘l’avion avait été abattu par les soldats Belges’. C’est cette rumeur
partie de l’ambassade de France qui a été à la base de l’assassinat des 10
casques bleus belges.
- Les
militaires belges de l’opération Silver Back ont été interdits par les
Francçais d’atterir à Kanombe et sont restés deux jours à Naïrobi avant de
poursuivre. Au cours de cette période, les Français ont déchargé des
caisses de munitions à destination des ex-FAR.
- Durant
le génocide, les Français ont évacué des dignitaires du régime
génocidaire. Ils n’ont pas évacué de Tutsi pourtant menacés. Au contraire,
ils se permettaient même de séparer des couples mixtes, c’est à dire,
évacuer un ressortissant français en laissant son conjoint Tutsi. Les
soldats belges ont par contre évacué quelques Tutsi.
- L’aéroport
de Kanombe sous le contrôle des soldats français était dans un état
crasseux. Les soldats français ont en outre cassé les vitres des magasins
« duty free shop » de l’aéroport et pillé des liqueurs.
- D’apès
des informations recueillies par le témoin, c’est le colonel français De Saint Quintin qui a récupéré des débris de l’épave de
l’avion de Habyarimana abattu.
- Les
extrémistes Hutu se sont rassemblés à l’ambassade de France avant l’évacuation
de Kigali.
- Avant
de partir, l’ambassadeur français a brulé et détruit durant la nuit, tous
les documents compromettants.
- Selon
le témoignage de journalistes d’autres nationalités qui se déplaçaient
avec les soldats français dans Kigali durant le génocide, les militaires
français étaient sans état d’âme . Pour franchir les barrières sur
lesquelles on tuait des Tutsi, ils mettaient la musique très fort dans
leurs écouteurs et ils continuaient leurs patrouilles sans intervenir.
- Avant
même que l’ONU ne donne le feu vert à l’opération Turquoise, les soldats
Français étaient déjà à Goma et Bukavu.
- L’avion
de Habyarimana a été abattu par des soldats français du DAMI (Détachement
d’Assistance Militaire) au service de la CDR. Un message signé Thaddée,chef
de milice à Kigali, parvenu dans la boîte aux lettres du témoin a révélé
cette information. Elle confirmait un faisceau de présomptions antérieures
de la part du témoin et de beaucoup d’autres observateurs, surtout des
militaires belges.
- Des
uniformes des paras belges ont été volés à l’hôtel Méridien pour être
ensuite utilisés par ceux qui ont abattu l’avion du président Habyarimana.
- Le
témoin a vu à Cyangugu, à la fin de l’opération Turquoise, des gens
détruire et piller des biens avant de traverser en RDC, devant le regard
indifférent des soldats français.
- Le
témoin a vu, dans un hopital à Cyangugu, un médecin français qui voulait
continuer à soigner un blessé se faire violemment rappeler à l’ordre par
son supérieur qui ordonnait de quitter les lieux, précisant qu’ils
n’étaient pas venu pour des actions humanitaires.
- Selon
le témoin, l’opération Turquoise a servi à convoyer les génocidaires en
RDC. Elle n’avait rien d’humanitaire : pas de matériel de génie, pas
d’équipements humanitaires, pas d’équipes médicales, de génie,
d’épidémiologistes, de psychologues, de psychothérapeutes, pas
d’intervention pour sauver des Tutsi,....
- Le
choléra qui a tué environ 40.000 personnes à Goma est, de l’avis des
épidémiologistes interrogés par le témoin, une catastrophe programmée, au
minimum par bêtise. L’état volcanique du sol où l’on ne pouvait pas
creuser de latrines profondes interdisait d’installer des camps de
réfugiés en masses agglutinées. Il ya donc eu un manque de précaution
coupable.
- Quand
les réfugiés ont commencé à mourir de choléra, la France a exploité la
catastrophe par les services d’information de son armée pour détourner
l’attention des opinions publiques occidentales du génocide qui venait de
durer trois mois, focalisant l’attention des médias sur les victimes du
choléra.
- D’après
le rapport de mission du colonel Ephrem Rwabalinda auprès du général
Huchon, document découvert par le témoin et authentifié depuis lors, il
apparaît qu’au moment où se déroule le génocide, les militaires français
sont simplement préoccupés par le contrôle de l’opinion publique.
- Les
Français ont continué de fournir des armes et d’encadrer les
extrémistes génocidaires dans les
camps au Congo.
- La
France est impliquée dans des activités de négationisme du
génocide et dans l’exfiltration des opposants politiques et d’anciens
militaires de l’APR en défection. En exemple, le témoin a évoqué les
propos de François Mitterand à Biarritz -« les
g énocides »-, et le rôle d’un officier Français de l’opération
Artémis basé à Entebbe dans l’exfiltration d’Abdul Ruzibiza ; de même
que celui de l’ambassade de France en Tanzanie dans l’acheminement
d’Emmanuel Ruzigana en France où le juge Jean Louis Bruguière lui a
immédiatement extorqué un témoignage dans des circonstances
rocambolesques.
ARI-RNA/ Gén./ P.R/ 14. 06. 07/
16 : 20 GMT
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