IIème phase des auditions de la
commission Mucyo sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi de 1994 au
Rwanda.
Synthèse de la première journée.
Kigali, 11 Déc. (ARI) –
La deuxième phase des auditions de la « Commission Nationale Indépendante
chargée de rassembler les preuves de l’implication de l’Etat Français dans le
génocide perpétré au Rwanda en 1994 » a débuté ce lundi avec les témoins des
faits. La première phase consacrée aux témoins de contexte avait eu lieu du 24
au 31 octobre dernier.
Quatre témoins ont été entendus au cours de cette
première journée. Il s’agit de Nzeyimana Isidore, Kaburame Jean Damascène,
Dushimimana Jean Baptiste et Nisengwe Orose.
. Méthodologie de la
commission : Elle reste inchangée depuis la première phase. Le Président de la
commission, Jean de Dieu Mucyo débute toute séance en rappelant le mandat de la
commission et en présentant ses membres. Il donne ensuite la parole au témoin
qui se présente et donne son récit en essayant chaque fois de montrer le rôle de
l’Etat Français avant, pendant et après le génocide ainsi qu’au cours de
l’opération turquoise.
Le témoin est ensuite soumis à une série de
questions des membres de la Commission qui visent
généralement à obtenir des précisions, mais
également à éprouver la véracité et
la crédibilité des témoignages. Seuls les
Commissaires sont habilités à poser les questions. Pas de
photos, pas d’enregistrement, sauf les services de la Commission.
. Témoin n°1 :
Nzeyimana Isidore.
- Identification : ex-FAR entré dans l’armée en
1986 ; formé à l’artillerie lourde ;
a
combattu sur les fronts du Mutara, Byumba et Ruhengeri ;
réintégré dans
la nouvelle armée rwandaise après le génocide ;
brièvement emprisonné
pour génocide puis acquitté (il avait été
confondu à un génocidaire qui
portait le même nom) ;
démobilisé en 2004 ; actuellement étudiant
au
KHI (Kigali Health Institute), section Nyamishaba/Kibuye.
- Eléments
essentiels de son témoignage.
- Au début de la guerre, les Français ont
monopolisé la coopération militaire au détriment d’autres partenaires, et ils
ont excessivement fourni des ressources à l’armée rwandaise dans ce qui
apparaissait manifestement comme une préparation à l’implication directe dans la
lutte armée.
Ils ont supplanté les Belges au camp Bigogwe et dans la gestion
des autres établissements de formation militaire ; remplacé les Chinois dans la
fourniture des pièces d’artillerie ; remplacé les radios des transmissions
auparavant fournies par les Belges ; changé le système de communication
militaire ; fourni de nouveaux hélicoptères à infrarouge ; ainsi que des
blindés. Pour le témoin, les Français ont outrepassé le mandat de coopération
militaire.
Ils auraient pu soutenir le processus de paix d’Arusha plutôt que
d’appuyer une partie des Rwandais (en l’occurrence le régime Habyarimana) contre
d’autres (le Front Patriotique Rwandais).
- Les Français ont participé
aux combats : Ils ont notamment organisé les opérations Tam Tam et Hirondelle
qui visaient à déloger le FPR de ses positions dans Ruhengeri, Byumba et
Umutara. Tam Tam s’est déroulé dans la région de Ruhengeri ; Hirondelle dans la
région est (Byumba, Umutara). Sur 12 militaires affectés à un engin
d’artillerie, 7 étaient Français et c’est eux qui faisaient l’essentiel du
travail de tir, les 5 rwandais se contentant d’apprêter les bombes. La formation
technique de ces derniers était généralement insuffisante.
- Les Français
ont voulu lancer des bombes à phosphore sur les Inkotanyi (FPR) dans la
forêt
des volcans ; et c’est le gouvernement rwandais qui s’y
est opposé en raison des ravages
potentiels de cette arme sur
l’environnement (le parc).
A la question des Commissaires qui
voulaient tester la crédibilité du témoignage, le témoin a précisé qu’en tant
qu’un des rares
spécialistes rwandais de la topographie de
l’artillerie, il participait aux réunions des
Commandants des
bataillons lors de l’opération Tam Tam .
- Les Français ont
participé au contrôle des barrières de protection, notamment à
Shyorongi.
La mission de ces barrières était au début de
combattre une éventuelle infiltration de
l’ennemi,
mais progressivement, elles ont servi à repérer, harceler et tuer les
Tutsi.
- Dans leur contact avec la population, les soldats Français
étaient particulièrement intéressés
par les distinctions entre
les Hutu et les Tutsi ; et ils étaient visiblement favorables
aux
premiers et contre les seconds. « Dans nos discussions avec
des soldats Français
subalternes, - il y en a qui étaient venus
terminer leur formation avec nous a Nyakinama
sous
l’encadrement des mêmes instructeurs Français-, il apparaissait qu’ils partaient
déjà de
chez eux avec un brieffing précis sur les ethnies au
Rwanda et sur les Tutsi comme
ennemis ».
- Les Français
ont formé les miliciens Interahamwe et fourni des armes aux civils dans
la
stratégie d’auto-défense civile. Ces entraînements étaient
donnés essentiellement à Gabiro.
Témoin n°2 : Caporal Kaburame Jean
Damascène.
- Identification : Ex-FAR ; entré dans l’armée en 1990 ;
formé
respectivement aux
camps
Kami, Bigogwe, et Gako ; a combattu sur le front du Mutara dans le
2ème
bataillon Muvumba ; puis déployé à Shyorongi,
ensuite à Tumba ; exilé au
Congo (Camp Mugunga), puis rentré au Rwanda.
. Eléments essentiels de son
témoignage :
- Les Français contrôlaient les identités aux barrières de
protection. « Ils en avaient une dans
le centre de
Ngarama. Quand ils lisaient « Tutsi » sur la carte d’indentité , ils
faisaient
monter le détenteur dans leur camion garé à côté. Ils
ont finalement conduit le camion et sa
cargaison des Tutsi vers
Nyagatare, et on ne les a plus revus ».
- Les Français participaient aux
combats. « Ils avaient installlé des mortiers 122 et 125 à
Nyagatare, et ils tiraient sur Bwisigye. A l’époque, Nsabimana Déogratias était
notre chef,
et un certain Uwimana notre Commandant de bataillon.
»
- Les Français ont entraîné les Interahamwe. « En 1992, ils ont formé
ceux qu’on appelait les
DAMI à Gabiro ; ils leur ont ensuite distribué
des armes et des uniformes ». Ils en ont formé
aussi à Rushashi, à
Kineza précisément. Un de ceux qu’ils avaient formés, Katarebe, - qui
était un voisin du village- m’a raconté tout cela quand il m’a rejoint à Tumba.
Il était dans un
bataillon d’Interahamwe venus nous seconder à Tumba
».
- Les Français ont réorganisé et réarmé les ex-FAR et les Interahamwe
au Congo. « Ils sont
venus à notre suite dans l’exil. Ils nous
ont créé un camp au Lac Vert séparé de celui des
civils. Et ils
nous encourageaient à rentrer au pays.
Ils nous ont distribué des fusils R5
».
- Le Français nourissaient les ex-FAR et Interahamwe dans
les camps
d’entraînement au
Congo. « Ce sont les Français qui
nous approvisionnaient en vivres. Ils nous apportaient du riz dans leurs camions
; les civils eux mangeaient du maïs (imvungure) ».
Témoin n°3 :
Dushimimana Jean Baptiste.
Identification : ex-Milicien
Interahamwe originaire de Gatenga, déployé ensuite à
Kigali
comme chauffeur et escorte de Twahirwa Seraphin, cousin de Habyarimana
et chargé de la protection des dignitaires du MRND dans la ville
de
Kigali ; exilé à Bukavu, puis à Mugunga ;
engagé dans les activités de
destabilisation du pays en
1997 ; puis rentré au
Rwanda.
Eléments essentiels de son témoignage :
- Ce sont
les Français qui entraînaient les Interahamwe.
« L’entraînement des
Interahamwe à Kigali a débuté à l’usine Technoserve en bas du camp Muhima.
Ensuite il a été déplacé dans le building de Kabuga à Muhima où se trouvait le
siège du MRND ; il a enfin été transferé dans la maison du Général
Ndindiliyimana près de l’ancienne boîte de nuit Kigali Night. »
« Plus
tard, ils ont déclaré que l’ennemi augmentait de force et ils ont décidé
d’organiser la formation des Interhamwe au camp Gabiro. Ils nous disaient que
c’est un secret absolu. Les hutu originaires du centre (Nduga) et les Tutsi
n’étaient pas admis. Moi j’habitais Gatenga. Le bus est venu nous ramasser au
niveau de chez Carlos, près de la résidence de Bikindi . »
« Arrivés à
Gabiro, nous avons été accueillis par des Blancs qui ressemblaient à des
touristes. Ils racontaient à des officiers rwandais qui n’étaient pas dans le
secret, que nous allions être formé à la protection du parc et des touristes
dans le cadre de l’ORTPN (Office Rwandais de Tourisme et des Parcs Nationaux).
Ils nous ont distribué des uniformes. C’est le major Nkundiye qui, du côté
rwandais, supervisait la formation . »
« Au camp Gabiro, on y dispensait
la formation à trois catégories de gens : des Hutu venus du Burundi (jeunesse du
parti Frodebu) ; des soldats qu’on préparait pour le front ; et des Interahamwe.
»
« Après la formation, on nous a redéployé dans la ville de Kigali selon
la classification de nos résultats au champ de tir. J’avais reçu 16/20. C’est
pourquoi on m’affecta à la protection de Twahirwa Seraphin, cousin de
Habyarimana et chargé de la protection des dignitaires du MRND. Quand le
génocide a commencé, nous disposions déjà de tout le nécessaire : les grenades,
les armes et les véhicules. »
- Les Français participaient aux réunions
de l’Akazu (noyeau dur composé des proches de la
famille de
Habyarimana) à l’Hôtel Rebero l’Horizon. Le témoin l’affirme en sa
qualité
d’ancien chaffeur et escorte de l’un des membres de
l’Akazu.
- Les Français participaient aux contrôles des barrières. «
Notamment à Gikondo, vers l’entrée
de l’Hôtel Rebero l’Horizon où se
réunissaient les membres de l’Akazu au moins une fois la
semaine
; de même qu’à Shyorongi. »
- Lors de l’opération turquoise, les Français
ont rassemblé les armes pour les redistribuer aux
ex-FAR et
miliciens une fois au Congo.
- Les Français ont largué des Tutsi du haut
des hélicoptères dans le parc de Nyungwe.
- Les Français ont recolté du
chanvre dans la forêt de Nyungwe, en ont chargé des camions
pour
expédier le contenu sur des avions à l’aéroport de Kavumu.
- Les français ont
pillé et détruit la ville de Cyangugu.
- Les Français ont ouvert à Bukavu des
camps pour les ex-FAR et Miliciens
Interahamwe, à savoir Panzi,
Sayo et Bulonge qui était destiné à la formation des recrues.
- Au début des
opérations des infiltrés en 1997, des soldats Français sont entré
jusque
dans la forêt de Gishwati pour aider à préparer les attaques de
destabilisation du pays.
Témoin n°4 : Nisengwe Orose
Identification : ex-milicien Interahamwe ; originaire de
Kayove
(Gisenyi) ; ancien joueur de football de la Commune ; a
été recruté comme
milicien à Kayove (Stade
Bugabo) ; formé au camp Gisenyi, puis au
camp
Mukamira ; a participé entre autres aux massacres des Tutsi au
Stade
Gatwaro et à Bisesero (Kibuye) ; exilé au Congo (Bukavu)
par Kibuye et
Cyangugu ; puis rentré au pays.
Eléments essentiels de la déposition
:
- Les Français ont entraîné les Interahamwe.
« Les Français
nous ont rejoint au camp Mukamira. Ils supervisaient la formation qui était
avant tout le maniement des armes, la tactique, puis l’idéologie. Il nous était
enseigné que « le Tutsi est l’ennemi du Hutu ; que s’il arrivait à prendre
le pouvoir, les Hutu seraient rayés de la carte du monde. »
- Les
Français ont directement pris part au génocide.
« En mai 1994, environ 150
Tutsi ont été emmenés au camp Gisenyi par des Français. Ils étaient chargés dans
des bus et des camions en provenance de Mulindi/Byumba. Ils ont été tués par les
Interahamwe ; et les véhicules sont rentrés chargés d’armes . » « Les Français
sont responsables de la disparition des Tutsi qui s’étaient refugiés à la
paroisse Crète Congo-Nil que le curé Français de cette paroisse, Gabriel
Maindron leur avait livré. »
- Les Français ont approvisionné en armes les
forces génocidaires en plein génocide.
« En avril et mai 1994, le
Colonel Nsengiyumva Anatole et le lieutenant Habimana nous ont envoyé deux fois
charger des armes apportées par les Français à l’aéroport de Goma.
Ils nous
entassaient dans les camions de Kabuga qu’on recouvrait ensuite de bâches et ils
nous conduisaient à l’aéroport de Goma. J’ai vu plus de 25 soldats Français en
tenue militaire. Les armes étaient dans des caisses sur lesquelles il y avait
l’image d’une houe. Arrivés à Gisenyi, nous les déchargions : il y avait dedans
des grenades, des kalatchnikovs, des R4, des Strings,… »
- Les Français
assistaient aux massacres des Tutsi durant le génocide sans intervenir. Selon le
témoin, cela s’est passé au stade Gatwaro, Bisesero, et sur le pont de Muregeya
à Kibuye.
- Les Français ont couvert la fuite des génocidaires vers le
Congo avec leurs armes.
« Sur le pont Muregeya à Kibuye, ils nous ont couvert
avec leur artillerie lourde contre les soldats du FPR. Certains fugitifs ont dû
rebrousser chemin et emprunter la voie qui longe le lac à cause des
affrontements entre les ex-FAR et le FPR . »
- Les Français ont dispensé
aux miliciens Interahamwe en exil au Congo des soins de santé.
« Au congo,
nous avons reçu l’entraînement des Français qui ont également construit des
centres de santé où étaient soignés les Interahamwe. Mon grand frère travaillait
dans l’un de ces centres de santé situé au-delà du quartier Mabanga à Goma. Les
bâches de ce centre y étaient installées de juillet 1994 à janvier 1995.
»
ARI-RNA/Gén./P.R/11.12.06/19 :20 GMT
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