Extrait d'une page de France Culture aujourd'hui effacée
publiée en septembre 2009 - interview du 31 mai 2009
reconstruite et republiée par la CEC le 7 janvier 2012

Rwanda : les révélations d'un ancien espion

|
|
 |
|
Exclusif : Retour sur l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président Habyarimana ou la manipulation décortiquée.
La semaine dernière, on découvrait que l'ancien espion rwandais, chargé d'intercepter les messages radio du FPR, Richard Mugenzi avait écrit
le 7 avril 1994 4 faux messages sur ordre d'un colonel. Objectif recherché : accuser faussement le FPR d'avoir commis l'attentat.
Dans une vidéo de 2 heures, enregistrée à Kigali par le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier, Mugenzi explique les tenants et
les aboutissants de cette manipulation : "C'était un coup d'Etat".
Voici 4 extraits de cet entretien vidéo actuellement sur le bureau du juge d'instruction Marc Trévidic :
- L'interview est dans sa 46ème minute.
L'ancien espion évoque ses activités au sein des FAR (Forces Armées Rwandaises, hutu), sa formation à l'écoute radio, l'atmosphère qui
régnait à ce moment-là dans le camp militaire ultra-secret où il travaillait et son chef direct, le colonel Anatole Nsengiyumva, un proche
du colonel Théoneste Bagosora (considéré comme le cerveau du génocide). Et c'est par hasard, au détour d'une explication, que le Rwandais
laisse entendre qu'il lui arrivait de faire de "fausses interceptions" de messages radio :
- Richard Mugenzi détaille la manipulation qui n'avait jamais été éventée avant ses révélations à Jean-François Dupaquier :
- En 1994, Richard Mugenzi était certes au contact de militaires éminents et influents, mais ce n'était qu'un petit "espion" civil hyper
protégé. Il connaissait le contexte politique : la guerre civile et les efforts de paix encouragés par la communauté internationale dans le
cadre des négociations d'Arusha. Mais il n'était pas pour autant dans le secret des "dieux" :
- Richard Mugenzi révèle que le 6 avril 1994, vers 14h30 - soit 6 heures avant l'attentat - le colonel Nsengiyumva l'a prévenu qu'il allait
"se passer quelque chose", sans lui dire quoi. Aujourd'hui, l'ancien espion rwandais est persuadé qu'il s'agissait de l'attentat, dont
l'imminence était connue à l'avance dans des sphères bien précises de l'armée rwandaise. Et il a sa lecture de cet événement.... :
Précisons que le CDR (Coalition pour la défense de la République) était à l'époque le parti le plus extrémiste sur l'échiquier politique
rwandais.
|
|
|

|
Cadre historique |
Le 6 avril 1994 à 20 h 30, deux missiles sol-air, tirés depuis les environs de l'aéroport de Kigali, provoquent le crash de l'avion
du président rwandais, qui rentrait d'un sommet régional en Tanzanie. Bilan : 12 morts, dont les 3 militaires ou anciens militaires
français qui composaient l'équipage. Quelques heures plus tard, le génocide des Tutsi commençait.
E n 1998, le juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière commençait son instruction, toujours inachevée et reprise depuis peu par deux
de ses collègues.
Cette instruction extrêmement sensible a été marquée par la délivrance en 2006 de 9 mandats d'arrêt internationaux contre des
proches de l'actuel président rwandais Paul Kagame (chef des "rebelles" du FPR lors de la guerre civile de 1990 à 1994). 2 jours
plus tard, le Rwanda rompait ses relations diplomatiques avec la France.
Or, cette instruction subit des rebondissements à répétition : vraies révélations sur la fausse boite noire du Falcon 50,
revirements et rétractions de témoins à charge contre le FPR. Ces témoins, on le sait, sont tous des transfuges de l'armée "rebelle"
; ils auraient accepté de parler au juge français en échange, dit-on, d'un titre de séjour dans un pays européen.
|

|
Richard Mugenzi |
Richard Mugenzi est né en 1960, dans la préfecture de Gisenyi, au Rwanda.
Il vit aujourd'hui à Kigali après avoir passé plusieurs années en Tanzanie où il travaillait pour le HCR.
Il a vécu toute la période de la guerre civile rwandaise dans sa région natale.
Richard Mugenzi a témoigné à charge dans le procès Bagosora devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Il a ensuite
été entendu par le juge Bruguière.
Mais le magistrat français n'est apparemment pas allé au bout de son interrogatoire.
C'est seulement maintenant que ce témoin, qui fut providentiel, se dévoile. Ce qui fragilise encore l'instruction en cours.
Jean-Louis Bruguière ayant pris sa retraite, le dossier est maintenant entre les mains du juge Marc Trévidic. Richard Mugenzi a
déclaré la semaine dernière qu'il se tenait à sa disposition.
|

|
Jean-François Dupaquier |
Jean-François Dupaquier est journaliste et écrivain. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de référence sur le Burundi et le
Rwanda. Il a notamment co-signé avec Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda "Les médias du génocide" (Karthala).
Il a été expert auprès du TPIR d'Arusha dans le "procès des médias".
Jean-François Dupaquier a retrouvé Richard Mugenzi en mai dernier, à Kigali. Il ne savait pas que son interlocuteur allait lui
révéler l'un des secrets les mieux gardés du Rwanda.
Il explique à Laure de Vulpian l'importance et les conséquences du témoignage de Richard Mugenzi :
|

|
'Voilà encore un pan important de l'instruction qui est en train de
tomber' |
Bernard Maingain est avocat au barreau de Bruxelles. il est le conseil de trois des Rwandais visés par un mandat d'arrêt
international. Parmi eux, Rose Kabuye, directrice du protocole de la présidence rwandaise; Rose Kabuye est libre sous contrôle
judiciaire. Elle doit revenir en France d'ici 3 semaines, pour être à nouveau interrogée par le juge anti-terroriste Marc Trévidic,
désormais en charge de ce dossier.
Fin connaisseur du Rwanda et de la région des Grands lacs, Bernard Maingain répond à Laure de Vulpian :
|

|
Les faux messages radio du FPR |
L'attentat contre l'avion du Président Habyarimana se produit à 20 h 30 le 6 avril.
Les premiers messages du FPR "interceptés" par Richard Mugenzi datent du lendemain, le 7 avril.
Quatre messages vont se succéder entre 7 heures et 8 h 15, ce matin-là.
Richard Mugenzi affirme qu'il n'a pas intercepté ces messages-radio et il précise qu'ils n'ont jamais existé. En revanche, il a
soigneusement recopié les textes sur les formulaires utilisés habituellement pour les interceptions. Textes que lui avait fournis
son supérieur, le colonel Nsengiyumva.
En voici les extraits les plus significatifs :
- "Vous informons que la mission de notre escadron renforcé s'est soldée par une brillante réussite (...). Dans la ville principale
[Kigali], on tire dans toutes les rues. Courage, notre réussite est irréversible."
- "Nous félicitons les groupes d'action en profondeur. La victoire veut dire davantage : remporter la guerre sur autrui."
- "Je vous remercie et vous félicite de l'opération d'hier. La récompense est à vous pour le moment. Toutes les unités doivent se
mettre en état d'alerte. La guerre commence."
- "Vous confie la mission de terminer le projet comme je vous l'ai précisé. Le plan est presque terminé. Les gorilles [les Hutu] ont
échoué et les bergeronnettes [les Tutsi] ont gagné le match."
|

|
Dossier multimédia réalisé par Laure de Vulpian et Eric
Chaverou |
|
|
|
|
|
|