Commentaires de la CEC après publication |
Avant
propos - Rapport de la CEC - version html édité sous le titre : L'horreur qui nous prend au visage, l'État français et le génocide au Rwanda - Karthala |
Merci… aux donateurs, de temps et de monnaies. L’organisation de la Commission d’Enquête Citoyenne, de la préparation des rapports aux invitations, en passant par l’enregistrement des bandes sonores et vidéo, sans oublier l’accueil des témoins et des invités, a été assurée par les bénévoles et les permanents de l’association Survie, coordonnés par Olivier Thimonier. Une mention toute spéciale pour Samuel Gantier, pour avoir bien voulu filmer en Belgique le témoignage d’Alison Des Forges. La publication de ces actes est tout droit issue des retranscriptions et relectures patientes d’une équipe d’étudiantes, de doctorantes et d’enseignantes de l’Université Paris 8, chacune connaît sa part de responsabilité dans ce qui suit… qui n’aurait pas été sans le travail final de correction des commissaires, invités et personnes extérieures à la CEC, ni le soutien technique de Claire Jacquemin, Carol Guillaume et Rodolphe Ollivier. « Ici se pose la fameuse question […] « hutu c’est quoi, et tutsi, c’est quoi ? ». Certainement pas des ethnies. Une ethnie selon le Petit Robert est un « ensemble d’individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation, notamment la communauté de langue et de culture ». Les Bahutu, les Batutsi et les Batwa parlent la même langue (le kinyarwanda), partagent la même culture (l’ikinyarwanda), ont les mêmes croyances (imana) et habitent le même territoire. Il n’y a donc au Rwanda qu’une seule ethnie : les Banyarwanda. » Dorcy Rugamba, « Hutu/Tutsi », in Alternatives théâtrales
67-68, Rwanda 94, le théâtre face au génocide, Groupov,
récit d’une création, avril 2001, Lièges (p.58).
Avant-proposLe 10 mai 1994, un mois après le début du génocide d’environ un million de Tutsi rwandais, le président François Mitterrand cherchait déjà, dans une intervention solennelle sur TF1 et France 2, à en exonérer la France : « Nous n'avons pas envoyé une armée pour combattre, nous n'étions pas là-bas pour faire la guerre. Nous ne sommes pas destinés àfaire la guerre partout, même lorsque c'est l'horreur qui nous prend au visage. » Le présent rapport montrera d’abondance le déni de réalité contenu dans ce propos : au Rwanda, nos dirigeants n’ont pas cessé de « faire la guerre » avant, pendant et après le génocide, alors que nul destin ne les y astreignait – « une vraie guerre, totale et très cruelle » a même déclaré le général Quesnot, chef d’état-major de Mitterrand. Mais une chose au moins est juste dans la vaticination présiden-tielle : l’ampleur des complicités françaises au côté des concepteurs et organisateurs du génocide est telle que, depuis, « l’horreur nous prend au visage ». Et elle prendra indistinctement au visage tous les Français, tant qu’il n’aura pas été possible, pour les rescapés, les parents des victimes, tous les êtres humains que le génocide de 1994 a bouleversés, de percevoir à la fois la réalité de ces complicités et les ruses par lesquelles un petit nombre de décideurs hexagonaux ont entraîné la France dans ce qui constitue l’une des pires ignominies de son histoire[1]. Dès 1994, certaines de ces complicités avaient été exposées et dénoncées. Le dossier n’a ensuite cessé de s’étoffer de quantité d’articles, rapports, ouvrages, documentaires télévisés, en France et surtout à l’étranger. Car aussitôt s’est abattue chez nous la chape de la négation : le cercle des responsables de l’engagement français dans le camp génocidaire a su convaincre la quasi-totalité des décideurs civils et militaires d’une nécessaire solidarité dans le déni. En 1998, pour le centenaire du J’accuse de Zola, une série de quatre articles de Patrick de Saint-Exupéry dans Le Figaro a brisé le silence médiatique et apporté de nouveaux éléments, provoquant la création d’une Mission d’information parlementaire. Au sein de cette Mission, une minorité de députés curieux et de bonne volonté, parfois isolés, a contribué à épaissir le dossier. Mais son président, l’ancien ministre de la Défense Paul Quilès, a conclu au rejet de toute complicité [2], en dépit des preuves contenues dans le rapport lui-même. Il a seulement admis une « erreur ». Les historiens le savent, la mémoire d’un génocide résiste fortement à la négation. Un an avant le dixième anniversaire du génocide des Tutsi, des associations et citoyens français ont résolu de reprendre le dossier des complicités françaises là où les députés l’avaient laissé, réagissant ainsi à une défaillance de nos institutions démocratiques. Puisqu’il est permis au citoyen d’une commune de porter plainte au lieu du maire quand celui-ci ne dénonce pas un détournement de l’argent municipal, il doit bien être possible à des citoyens français de s’inquiéter d’une présomption de crimes infiniment plus graves. C’est ainsi qu’est né le projet d’une « Commission d’enquête citoyenne sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 » (CEC), qui tiendrait cinq jours de session plénière du 22 au 26 mars 2004. Quatre associations ont porté ce projet : l’Association internationale de recherches sur les crimes contre l’humanité et les génocides (Aircrige), la Cimade, l’Observatoire des transferts d’armement et Survie. S’y sont joints des juristes, historiens, témoins et militants, dont plusieurs ont représenté la Commission durant ses séances publiques de mars 2004 (Géraud de la Pradelle, président de la CEC, Annie Faure, Bernard Jouanneau, Rafaëlle Maison et Yves Ternon). Une pétition de soutien à ce projet d’enquête a recueilli huit mille signatures. La préparation a été difficile, tant à cause de la faiblesse des moyens financiers obtenus (investir dans la recherche de vérités déplaisantes n’est pas un geste courant) que de la pression ressentie par certains témoins potentiels, ou de l’autocensure de nombreux autres. La CEC a pu cependant envoyer Georges Kapler recueillir durant un mois des témoignages au Rwanda – une mission difficile et réussie. La sortie en mars 2004 de l’ouvrage de Patrick de Saint-Exupéry, L’Inavouable. La France au Rwanda, a créé un effet de synergie, amenant des éléments nouveaux jusqu’au dernier jour de session de la CEC. Le programme des séances publiques a été réparti en six thèmes : présomptions de complicités militaires ; financières ; diplomatiques ; rôle des médias et présomptions de complicités idéologiques ; opération Turquoise ; hiérarchie des responsabilités. Chaque thème a fait l’objet d’un rapport préalable, apportant à la CEC les éléments disponibles (documents, études, retranscriptions de propos antérieurs). La Commission a entendu le rapporteur, discuté son rapport et les pièces proposées, tout en auditionnant des experts et témoins. Les témoignages de Rwandais ont été visionnés en fin de journée. Faute de pouvoir se déplacer fin mars à Paris, l’historienne Alison des Forges, auteur du rapport de référence sur le génocide (Aucun témoin ne doit survivre, Karthala, 1999), a accepté de s’exprimer dans un long témoignage filmé. La Commission a essayé d’entendre les tenants de la thèse officielle de la non-complicité. Elle a invité quasiment tous les acteurs français majeurs de la relation franco-rwandaise à cette époque. Elle n’a obtenu, pratiquement, que des non-réponses ou des refus. Cela peut se comprendre. Seule la justice pourra exiger des explications de ceux, parmi ces acteurs, qui se sont apparemment rendus complices de faits aussi graves. Le présent Rapport est une retranscription presque intégrale des cinq journées de session de la CEC [3] – qui ont par ailleurs été filmées. Ont seulement été omis les rares moments où l’intérêt des débats a faibli, des parties de témoignages hors sujet, et quelques moments où l’enre-gistrement a été défaillant. Quelques témoignages ou extraits de témoignages ont été replacés dans le chapitre concerné, lorsque le témoin, pour des raisons de disponibilité, est intervenu à un autre moment. À ces réserves près, le lecteur pourra donc suivre dans son déroulement cette « enquête publique » d’une semaine [4]. Elle a été vécue par les participants comme un moment intense, un combat singulier entre la recherche de la vérité et sa négation [5] : oui, pendant cinq jours, « l’horreur nous a pris au visage ». Les membres de la CEC étaient déjà informés sur le sujet, mais ce qu’ils ont découvert ou entrevu a relevé parfois de l’inimaginable : l’indifférence au génocide de hauts responsables français [6] a conduit à accepter et même promouvoir l’instrumentalisation de milices déshumanisées [7] au service d’une guerre totale “racialisée”– sur la base, semble-t-il, d’une doctrine militaire directement héritée des guerres d’Indochine et d’Algérie. Du coup, la Commission ne s’est pas contentée de délivrer des conclusions provisoires. Elle a décidé de poursuivre sa collecte et sa recherche d’informations, tout en travaillant sur de possibles incrimi-nations judiciaires [8]. Le dernier mot n’est pas dit sur l’implication française dans le génocide des Tutsi. Il faut que les Français se préparent à l’idée que leur pays n’a pas agi comme on veut le leur faire croire. Présentations Membres de la Commission d’Enquête CitoyennePatrice Bouveret : rapporteur sur les questions militaires et commissaire, responsable de l’Observatoire des Transferts d’Armement (Obsarm), président du Centre de documentation et de recherches sur la paix et les conflits, animateur de la revue Damoclès . Suppléant : Michel Agboola Souhil Emmanuel Cattier : membre du comité de pilotage, rapporteur sur l’opération Turquoise et commissaire, président de Survie Bas-Rhin. Catherine Coquio : membre du comité de pilotage et commissaire, présidente de l’Association Internationale de Recherche sur les Crimes contre l’humanité et les Génocides (Aircrige), professeure de Littérature comparée à l'Université de Poitiers, responsable avec Aurélia Kalisky de l’ouvrage collectif Rwanda 2004, témoignages et littérature (Lendemains n°112, Stauf-fenburg Verlag, janvier 2003, auteur de Rwanda, le réel et les récits (Belin, 2004). Suppléants : Aurélia Kalisky (vice-présidente d’Aircrige) et Jemal Ould Mohamed (économiste, membre d’Aircrige). Sharon Courtoux : membre du comité de pilotage, rapporteure sur les questions diplo-matiques et commissaire, déléguée du président de l’association Survie. Annie Faure : membre du comité de pilotage, rapporteure sur l’idéologie et les médias et commissaire, médecin, auteure de Blessures d’humanitaire (Balland, 1995). Géraud de Geouffre de la Pradelle : président, professeur de Droit à l’Université Paris X Nanterre. Suppléante : Rafaëlle Maison (professeure de Droit à l’Université de Picardie). Bernard Jouanneau : commissaire, président de l’association Mémoire 2000, avocat à la Cour. Marcel Kabanda : membre du comité de pilotage, historien. Georges Kapler : membre du comité de pilotage, membre de l’association d’aide aux rescapés du génocide « Appui Rwanda », producteur du documentaire Rwanda, un cri d’un silence inouï. réalisateur des témoignages filmés pour la CEC. Anne Lainé : membre du comité de pilotage, présidente de l’association d’aide aux rescapés du génocide « Appui Rwanda », réalisatrice du documentaire Rwanda, un cri d’un silence inouï. Gérard Sadik : commissaire, représentant la Cimade. Yves Ternon vice-président et rapporteur sur l’idéologie et les médias, historien, auteur de L’État criminel. Histoire des génocides du XXe siècle (Seuil, 1995), Du Négationnisme (Desclée de Brouwer, 1999), Le génocide des Arméniens (avec Gérard Chaliand, Complexe, 2002). François-Xavier Verschave vice-président, membre du comité de pilotage, rapporteur sur les questions militaires, financières et sur la hiérarchie des responsabilités président de Survie, auteur de Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda (La Découverte, 1994) et Noir silence (Les arènes, 2000). Témoins et intervenantsMehdi Ba : auteur de Rwanda, un génocide français (L’Esprit frappeur, 1997), et éditeur aux Arènes du livre de Patrick de Saint-Exupéry L’inavouable (voir bibliographie générale). Pierre Brana : maire d’Eysines (Bordeaux) et ancien député, rapporteur de la Mission d’information parlementaire de 1998 sur le rôle de la France au Rwanda. Colette Braeckman : journaliste au Soir de Bruxelles (voir bibliographie générale). Immaculée Cattier : rescapée. Jean-Pierre Chrétien : historien au CNRS, spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs (voir bibliographie générale). Alison Des Forges : historienne, membre de Human Rights Watch (voir bibliographie générale). Pierre Galand : sénateur belge, co-auteur d’un rapport sur le rôle de l’aide internationale dans le financement des armes du génocide. Éric Gillet : avocat au Barreau de Bruxelles, ancien membre du bureau exécutif de la FIDH. Franck Johannès : journaliste au Monde, en reportage au Rwanda en avril 1994 pour le Journal du dimanche. Gabriel Périès : latino-américaniste auteur d’une thèse à paraître sur l’école de guerre française, enseignant à l’Institut National des Télécommunications d’Évry. Jean-Christophe Rufin : président d’Action Contre la Faim, membre du cabinet de François Léotard, ministre de la Défense en 1994. Gaëtan Sebudandi : journaliste rwandais. Emmanuel Viret : titulaire d’un DEA sur l’utilisation du terme « génocide » par le journal Le Monde en 1994. NB : pour des raisons évidentes de sécurité des personnes concernées, les noms ainsi que tout élément permettant l’identification des témoins filmés par Georges Kapler au Rwanda ont été supprimés de la présente publication.
[1]. Elle en a commis beaucoup, dont la traite négrière. Rien qu’au XXe siècle, rappelons le travail forcé en Afrique centrale, les crimes contre l’humanité à Madagascar, en Algérie, au Cameroun, au Congo-Brazzaville, etc. – et bien sûr les crimes de Vichy. [2]. Cette conclusion a été critiquée par quelques députés de la Mission et a fait l’objet, en juin 2004, de questions au gouvernement. [3]. Sous la supervision de Laure Coret – qui a par ailleurs assuré la mise en forme finale – et de François-Xavier Verschave, avec le concours de Rodolphe Ollivier et Claire Jacquemin. [4]. La CEC s’est terminée le 27 mars 2004 par un colloque à l’Assemblée nationale, Rwanda 1994 : La République française et le génocide. La plupart des contributions à ce colloque sont publiées dans Coret (éd.), 2005 Toutes les références bibliographiques, complètes, se trouvent à la fin du présent volume. [5]. Nous tenons de nouveau à remercier encore tous ceux qui se sont engagés, sans compter leur temps, pour l’organisation de cette Commission : la somme de leurs engagements gratuits à plus que compensé l’extrême modicité des moyens financiers à notre disposition. [6]. Selon Patrick de Saint-Exupéry, François Mitterrand considérait que « dans ces pays là, un génocide ce n’est pas trop important » ; un haut responsable des services secrets estime que le succès de certaines opérations vaut bien de « mettre le génocide entre parenthèses ». [7]. Comme aujourd’hui le régime soudanais avec ses Janjawids. [8]. La possibilité d’incriminer des citoyens français présumés complices dans le génocide des Tutsi est décrite dans un mémorandum rédigé par le président de la CEC, La Pradelle, 2005. |