Les communiqués

Communiqué de presse, Paris, le 22 mars 2004

Commission d'enquête citoyenne sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994

Première journée

Plusieurs témoins impliquent directement des militaires français dans le génocide

Durant les deux premières de ses cinq journées de travail, la Commission d'enquête citoyenne examine les éléments tendant à montrer une complicité active de la France dans le génocide : fourniture de moyens humains (instructeurs, organisation, appuis divers) et matériels (armes, télécommunication). Ce lundi matin, elle a entendu un témoin, Immaculée, qui a vu dès 1991 à un barrage routier tenu près de Ruhengeri par des militaires français, ceux-ci arrêter les porteurs de carte d'identité ethnique avec mention " Tutsi " et les livrer immédiatement aux miliciens, qui les massacraient aussitôt. " Les Tutsi se faisaient sortir de la voiture et les militaires français les remettaient aux mains des miliciens agacés qui les coupaient à coups de machettes et les jetaient dans une rigole (canalisation d'eau) au bord de la grande route asphaltée de Ruhengeri-Kigali. " " Dans le rétroviseur de notre Hiace-minibus, […] j'ai vu un Tutsi qui se faisait sortir d'une voiture un peu plus loin de la nôtre et après la vérification de sa carte d'identité, un militaire français et un autre officier rwandais l'ont donné aux miliciens qui ont commencé tout de suite devant ces voitures à le frapper, de leurs machettes et de toutes autres armes […] pour le jeter après dans la rigole (tout cela vite fait pour s'attaquer aux suivants). Quand j'ai vu cela, j'ai regardé autour de nous dans la rigole où j'ai aperçu quelques corps qui gisaient sans bruit ".

La Commission s'est aussi penchée sur la coopération continuée de l'armée française avec l'armée qui encadrait le génocide, pendant et après le génocide. Elle a rapproché cela des doctrines militaires de contrôle des populations enseignées depuis un demi-siècle à l'École de Guerre française, où ont été formés nombre de hauts gradés des régimes tortionnaires latino-américains, puis l'orchestrateur présumé du génocide rwandais, le colonel Théoneste Bagosora. En fin de journée, deux témoignages filmés, d'un survivant des collines de Bisesero et d'un milicien, ont fourni des indications concordantes (d'une gravité sans précédent, et dont la vérification est incontournable) sur l'implication de militaires français de l'opération Turquoise dans le massacre d'une partie des survivants. Dans le délai de trois jours entre la découverte de quelque 5 000 rescapés sur ces collines et le sauvetage de 800 survivants, sous la pression de journalistes, des soldats français et leurs hélicoptères auraient piégé environ 3 500 survivants en leur promettant de l'aide puis en laissant les miliciens venir les achever.

Ces témoignages font partie d'un ensemble qui sera projeté chaque jour vers 15h30. Ils méritent une vérification et des enquêtes complémentaires de la part de la justice et des médias. Notre pays doit faire la lumière sur ces accusations, ce qui serait d'autant plus aisé qu'il existe au Rwanda quantité d'autres témoins potentiels.

La Commission d'enquête citoyenne (CEC) n'a pas fait qu'entendre des témoignages parfois bouleversants. Elle a aussi méthodiquement examiné et discuté les pièces d'un abondant dossier et entendu plusieurs experts (Jean-Pierre Chrétien, Alison Des Forges et Gabriel Périès).

La CEC est organisée par plusieurs associations (Aircrige, la Cimade, l'Observatoire des transferts d'armements et Survie). Elle est présidée par le juriste Géraud de la Pradelle. Y participent également l'historien Yves Ternon, Bernard Jouanneau, avocat, et Annie Faure, médecin.